1 décembre 2019
Rendez-nous nos retraites !
1 décembre 2019

Sommaire

1. Le sys­tème des retraites actuel
2. Une régres­sion sociale inédite
3. Le mou­ve­ment social prend forme

Le gou­ver­ne­ment de Macron cherche actuel­le­ment à faire pas­ser un pro­jet de réforme du sys­tème des retraites. Qu'est-ce que cette réforme chan­ge­rait à nos condi­tions de tra­vail et de retraite ? Pourquoi faut-il abso­lu­ment s'y oppo­ser ? Explications.

Le 18 juillet 2019, Jean-Paul Delevoye, deve­nu Haut-Commissaire à la réforme des retraites et membre du gou­ver­ne­ment, a remis au Premier ministre son rap­port « pour un sys­tème uni­ver­sel de retraite ». Les objec­tifs annon­cés : sim­pli­fier le sys­tème des retraites actuel, le rendre plus lisible, avec plus de liber­té et d'égalité. En réa­li­té, il s'agit d'une attaque sans pré­cé­dent au prin­cipe de répar­ti­tion et de soli­da­ri­té – qui carac­té­rise (encore un peu) le régime actuel de sécu­ri­té sociale –, et qui vise à nous faire tra­vailler plus long­temps pour tou­cher moins de pen­sions de retraite.

Après des mois de « concer­ta­tions » avec des direc­tions syn­di­cales repré­sen­ta­tives irré­so­lues [1]La fédé­ra­tion SUD-Rail a fait savoir dans un com­mu­ni­qué qu'elle ne se ren­drait pas au minis­tère « pour se faire expli­quer ou pour négo­cier les délais de mise en appli­ca­tion du sys­tème uni­ver­sel de retraites à points ». Quand on com­bat un pro­jet néfaste, on ne va pas le négo­cier. , ce pro­jet soit disant ouvert à la dis­cus­sion est res­té le même. Le gou­ver­ne­ment tient à le faire pas­ser. Officiellement, pour faire des éco­no­mies ; mais il s'agit en fait d'une attaque idéo­lo­gique, ayant pour seul motif d'asseoir davan­tage les pri­vi­lèges des classes diri­geantes au détri­ment des tra­vailleuses et tra­vailleurs, car le pré­ten­du défi­cit du sys­tème des retraites d'ici 2025 est construit de toutes pièces. Rien n'oblige éco­no­mi­que­ment le gou­ver­ne­ment à faire cette réforme. Pourtant, ce qu'il s'apprête à faire est tra­gi­que­ment historique.

 

Le système des retraites actuel

Jusqu'à pré­sent, pour les salariéEs du sec­teur pri­vé coti­sant au régime géné­ral, tels que nous, la pen­sion de retraite de la Sécurité sociale se cal­cule sur 50% de la moyenne sala­riale brute des 25 meilleures années de car­rière lorsqu'on part au taux plein, ou avec une décote de 1,25% par tri­mestre man­quant lorsqu'on ne rem­plit pas les condi­tions d'accès au taux plein et que l'on part dès l'âge légal mini­mal de départ à la retraite fixé à 62 ans.

%

de la moyenne salariale brute

meilleures années

%

de decote par trimestre manquant

âge minimal de départ

Pour avoir droit au taux plein, il faut rem­plir une condi­tion d'âge ou de durée d'assurance retraite (expri­mée en tri­mestres) qui varie selon notre année de nais­sance. Pour celles et ceux néEs en 1973 ou après, on béné­fi­cie d'une retraite à taux plein dès lors que l'on jus­ti­fie d'une durée d'assurance retraite d'au moins 172 tri­mestres (soit 43 ans de coti­sa­tions)[2]Le nombre de tri­mestres d'assurance (coti­sés et assi­mi­lés) est limi­té à 4 par année civile, sauf si l'on peut béné­fi­cier d'une majo­ra­tion de durée d'assurance.. Cette durée d'assurance est déter­mi­née en pre­nant en compte tous les régimes de retraite obli­ga­toires aux­quels on a coti­sé dans sa vie (régime géné­ral sala­rié, indé­pen­dant, libé­ral, agri­cole, fonc­tion publique, etc.). Tant que les 172 tri­mestres ne sont pas atteints, on peut béné­fi­cier auto­ma­ti­que­ment d'une retraite à taux plein dès lors qu'on a atteint l'âge de 67 ans, ou l'âge de 65 ans si l'on s'est occu­pé d'unE proche handicapéE, ou l'âge de 62 ans si l'on est recon­nu handicapéE ou mère ouvrière d'au moins trois enfants, ou avant l'âge de 62 ans si on rem­plit les condi­tions per­met­tant de par­tir à la retraite anti­ci­pée : car­rière longue, han­di­cap ou péni­bi­li­té du tra­vail [3].

Il y a une majo­ra­tion d'assurance pour enfant (majo­ra­tion mater­ni­té, majo­ra­tion d'adoption, majo­ra­tion d'éducation). Pour tout enfant né ou adop­té avant 2010, les majo­ra­tions sont auto­ma­ti­que­ment attri­buées à la mère : il s'agit d'une majo­ra­tion de 4 tri­mestres pour chaque enfant né ou adop­té et d'une majo­ra­tion de 4 tri­mestres sup­plé­men­taires en contre­par­tie de l'éducation de l'enfant pen­dant les 4 années sui­vant sa nais­sance ou son adop­tion. Soient 8 tri­mestres par enfant ayant atteint l'âge de 4 ans. Pour tout enfant né ou adop­té en 2010 ou après, les parents peuvent se répar­tir les 4 tri­mestres de majo­ra­tion d'adoption ain­si que les 4 tri­mestres sup­plé­men­taires de la majo­ra­tion d'éducation[4]. A noter qu'il existe aus­si une majo­ra­tion d'assurance pour congé paren­tal. Cette majo­ra­tion ne s'applique que pour chaque congé paren­tal à temps plein (et non par­tiel), équi­vaut à la durée effec­tive du congé paren­tal (un tri­mestre est vali­dé à la fin de chaque période de 90 jours) et ne se cumule pas avec la majo­ra­tion pour enfant (on béné­fi­cie de la majo­ra­tion pour congé paren­tal seule­ment si, après cal­cul, celle-ci est plus favo­rable que les droits à majo­ra­tion pour enfant).

Pour cal­cu­ler le mon­tant de sa pen­sion de retraite, il suf­fit donc de déter­mi­ner le salaire annuel moyen (c'est-à-dire la moyenne des salaires bruts ayant don­né lieu à coti­sa­tion au régime géné­ral durant les 25 années les plus avan­ta­geuses de notre car­rière), mul­ti­plié par le taux de la pen­sion (50% au taux plein si les condi­tions sont réunies, taux mino­ré de 1,25% par tri­mestre man­quant si décote, ou taux majo­ré si sur­cote). On y sous­trait ensuite, sauf exo­né­ra­tion, les coti­sa­tions et contri­bu­tions sociales telles que la Contribution Sociale Généralisée (CSG), la Contribution au Remboursement de la Dette Sociale (CRDS) et la Contribution addi­tion­nelle de soli­da­ri­té pour l'autonomie (Casa). Ce régime géné­ral est dit à « pres­ta­tions défi­nies », car de manière lisible, on peut cal­cu­ler sa retraite à l'avance avec les para­mètres décrits ci-dessus.

A cette pen­sion du régime géné­ral s'ajoute celle de la retraite dite com­plé­men­taire (Agirc-Arrco), qui est un régime par points. Celle-ci repré­sente envi­ron 13 de la pen­sion de retraite totale. Les coti­sa­tions ver­sées pour la retraite com­plé­men­taire sont conver­ties en points de retraite. Ces points se cumulent sur un compte ouvert à notre nom au début de notre car­rière[5]. Au moment de prendre notre retraite, tous nos points sont addi­tion­nés et le total est mul­ti­plié par la valeur du point à la date de notre départ. Cette valeur varie chaque année.

L'état du sys­tème actuel de retraites s'est consi­dé­ra­ble­ment dégra­dé sous les coups des dif­fé­rentes réformes menées par tous les gou­ver­ne­ments depuis une qua­ran­taine d'années sous la pres­sion patro­nale. Mais le socle ori­gi­nel issu de 1945, basé sur la répar­ti­tion et la soli­da­ri­té inter-générationnelle (les salariéEs qui cotisent à l'instant t financent les retraitéEs à l'instant t), qui per­met de garan­tir le droit à la retraite décente pour touTEs, était à peu près sau­ve­gar­dé jusque là. Ce qui est défen­du aujourd'hui par Delevoye et Macron met en péril ces fon­de­ments et ouvre une brèche vers un sys­tème par capi­ta­li­sa­tion où chacunE devra capi­ta­li­ser tout au long de sa vie pour auto-financer sa future retraite, peu importe que notre situa­tion, les aléas de la vie, nous le per­mettent ou non.

 

Une régression sociale inédite

Pour faire encore bais­ser les « dépenses » consa­crées aux retraites, à un rythme plus sou­te­nu que celui des der­nières années, le gou­ver­ne­ment de Macron veut mettre en place un sys­tème uni­ver­sel de retraites par points. Autrement dit, il veut en quelque sorte géné­ra­li­ser à l'ensemble de la popu­la­tion le régime de l'Agirc-Arrco qui ne concerne jusqu'à pré­sent que la retraite com­plé­men­taire des salariéEs du sec­teur pri­vé. Qu'est-ce qu'un régime par points exac­te­ment ? D'après le Conseil d'Orientation des Retraites (COR) :

 « Dans les régimes en points, l'assuré acquiert chaque année des points qui vont se cumu­ler durant toute sa car­rière. La contre­par­tie moné­taire de ses points n'est connue qu'à la date de sa liqui­da­tion, en fonc­tion de la valeur de ser­vice du point à cette date. Comme la masse des pen­sions est égale au pro­duit du nombre de points de tous les retrai­tés par la valeur de ser­vice du point, cette der­nière peut être ajus­tée année après année de façon à res­pec­ter l'équilibre du régime ».

Tout est dit...

D'un régime lisible et pré­vi­sible où l'on peut savoir à l'avance com­bien on tou­che­ra à la retraite, on pas­se­rait à un régime « sur­prise » et aléa­toire où le niveau de la pen­sion n'est connu qu'à la date de liqui­da­tion, c'est-à-dire au moment du départ en retraite, avec pour seule cer­ti­tude la baisse plus ou moins mar­quée de la pen­sion d'une année à l'autre, selon l'année de départ. Cette régres­sion est bien le fond de l'affaire, recon­nue par Fillon lui-même devant un par­terre de patrons lors d'un mee­ting du MEDEF [6] : « le sys­tème par points, en réa­li­té, ça per­met une chose qu'aucun homme poli­tique n'avoue, ça per­met de bais­ser chaque année la valeur des points, et donc de dimi­nuer le niveau des pen­sions ».

Nous pou­vons déjà pré­dire cette dimi­nu­tion du niveau des pen­sions en obser­vant ce qu'a per­mis la mise en place du régime par points pour la retraite com­plé­men­taire des salariéEs du pri­vé (Agirc-Arrco).

D'abord, contrai­re­ment aux régimes en annui­tés (ou tri­mestres), toute la car­rière est prise en compte – et non pas seule­ment les 25 meilleures années –, y com­pris avec ses « bas » géné­ra­le­ment propres aux débuts de vie pro­fes­sion­nelle. Le salaire annuel moyen de réfé­rence est donc néces­sai­re­ment diminué.

Ensuite, il existe toute une série de tech­niques qui per­mettent de faire varier la valeur du point, élé­ment cen­tral du cal­cul de la retraite. Les ges­tion­naires du régime Agirc-Arrco ont par exemple inven­té ce qu'on appelle un « taux d'appel ». Celui-ci per­met d'augmenter les coti­sa­tions sala­riales, pour aug­men­ter immé­dia­te­ment les res­sources du régime, sans qu'il y ait droit en contre­par­tie à des points sup­plé­men­taires. Initialement de 100%, il est pas­sé de 125% à 127%. En clair, pour 127 euros coti­sés, il n'y a que 100 euros qui ouvrent droit à des points : « les mon­tants ver­sés au titre du taux d’appel ne sont pas géné­ra­teurs de droits », dixit l'accord de 2015. Nous nous fai­sons lit­té­ra­le­ment voler.

Comme la valeur d'achat du point est fixée chaque année, sa valeur pou­vant être reva­lo­ri­sée ou non en fonc­tion des res­sources et des dépenses du régime, les ges­tion­naires du régime peuvent arbi­trai­re­ment jouer sur la valeur des points. Ainsi, pour 2017, la valeur d'achat a été reva­lo­ri­sée de 3,4% ; mais pour 2018, seule­ment de 3,3%... Pour les salariéEs à salaire constant, le nombre de points baisse. Nous nous fai­sons lit­té­ra­le­ment voler.

Autre exemple : la créa­tion depuis 2019 d'un « malus ». Bien que dis­po­sant de tous nos tri­mestres et donc béné­fi­ciant du taux plein dans le régime géné­ral de base, ce prin­cipe crée un malus de 10% sur la pen­sion com­plé­men­taire Agirc-Arrco si nous déci­dons de par­tir dès que nous y avons droit, et ce pour une durée de 3 ans ou jusqu'à 67 ans maxi­mum. Le but est de nous obli­ger à tra­vailler plus long­temps (pos­si­ble­ment jusqu'à 67 ans !) pour tou­cher l'intégralité de notre retraite com­plé­men­taire. Encore une fois, nous nous fai­sons lit­té­ra­le­ment voler.

L'objectif des régimes de retraites par points est de décon­nec­ter le niveau des retraites futures de l'évolution de la richesse, pour ne pas avoir à poser la ques­tion poli­tique de la répar­ti­tion des richesses qui, si l'idée de jus­tice l'emportait dans l'opinion publique, contrain­drait la part du Capital à finan­cer davan­tage le sys­tème des retraites. Or c'est la part du Travail qui ne cesse de pâtir depuis des années. Entre 1990 et 2009, le taux de rem­pla­ce­ment – c'est-à-dire le rap­port entre la pen­sion de retraite per­çue et le der­nier salaire – des régimes Agirc-Arrco a chu­té de plus de 30%.

Avec le sys­tème uni­ver­sel de retraites par points, le gou­ver­ne­ment Macron veut d'une part bais­ser le mon­tant des pen­sions, et d'autre part impo­ser aux salariéEs de tra­vailler plus long­temps. Si l'idée d'universalité qui met fin aux régimes spé­ciaux n'est pas mau­vaise en soi si tant est que des dis­po­si­tifs pré­servent la spé­ci­fi­ci­té de cer­tains sec­teurs sou­mis à des condi­tions de tra­vail plus dif­fi­ciles, elle sert pour le coup le gou­ver­ne­ment à tirer l'ensemble des pen­sions vers le bas au lieu d'universaliser vers le haut. Par exemple, pour le cal­cul de la pen­sion, toute la car­rière serait désor­mais prise en compte, alors que pour les fonc­tion­naires jusqu'à pré­sent, seuls les 6 der­niers mois (les meilleurs) sont pris en compte. Universaliser vers la condi­tion des fonc­tion­naires serait un véri­table pro­grès social.

Pour bais­ser le mon­tant des pen­sions, rien de tel que le dis­po­si­tif d'ajustement annuel de la valeur du point au départ en retraite. D'un sys­tème à « pres­ta­tions défi­nies », dans lequel en contre­par­tie d'un nombre d'années tra­vaillées nous connais­sons à l'avance le taux de rem­pla­ce­ment, on passe à un sys­tème à « coti­sa­tions défi­nies » dans lequel les tri­mestres dis­pa­raissent, le taux de rem­pla­ce­ment dis­pa­raît, pour lais­ser place à des méca­nismes auto­ma­tiques contrô­lés par les ges­tion­naires qui déci­de­ront chaque année de la valeur du point et donc du mon­tant de notre pen­sion, en fonc­tion d'une part pré­dé­ter­mi­née du Produit Intérieur Brut (PIB) réser­vée aux retraites. Au lieu d'une socié­té démo­cra­tique où l'on débat chaque année du niveau des coti­sa­tions et de la répar­ti­tion des richesses, ce qui est vou­lu par le gou­ver­ne­ment auto­ma­tise un méca­nisme éco­no­mique défa­vo­rable en l'éloignant du débat poli­tique et de celles et ceux qui pro­duisent ces richesses (les tra­vailleuses et travailleurs).

Le gou­ver­ne­ment Macron, sous pres­sion du MEDEF, veut en effet fixer dans la loi à 14% la part du PIB réser­vée aux retraites, ce qui cor­res­pond à peu près à la part actuelle ; alors qu'il y a une évo­lu­tion démo­gra­phique... Dans la période des départs en retraite des enfants du « baby-boom » qui dure­ra jusqu'en 2035, par exemple, de plus en plus de retraitéEs se par­ta­ge­raient la même part du PIB consa­crée aux pen­sions : méca­ni­que­ment, chaque pen­sion indi­vi­duelle s'ajusterait à la baisse rela­tive. Quand de plus en plus de per­sonnes se par­tagent un même gâteau qu'on ne veut pas faire gros­sir, a for­tio­ri la part de chacunE dimi­nue !

Pour résoudre l'équation démo­gra­phique du sys­tème des retraites, tous les gou­ver­ne­ments néo­li­bé­raux du monde et tous les patro­nats avancent tou­jours deux pos­si­bi­li­tés : pour main­te­nir l'équilibre bud­gé­taire, il faut soit allon­ger la durée de coti­sa­tions (tra­vailler plus long­temps), soit repor­ter l'âge légal de départ à la retraite (tra­vailler plus long­temps). Jamais une troi­sième pos­si­bi­li­té n'est évo­quée : celle qui implique de tou­cher à la répar­ti­tion des richesses, de reve­nir par exemple à une répar­ti­tion du par­tage entre Capital et Travail comme celle d'il y a 40 ans qui était plus favo­rable aux tra­vailleuses et tra­vailleurs. La volon­té du patro­nat est de ne pas mettre un euro de plus dans les caisses de retraite ; alors que pour finan­cer les retraites, le taux de la coti­sa­tion patro­nale pour­rait être aug­men­té. Le patro­nat, les action­naires, ont bien les moyens d'augmenter les coti­sa­tions, de faire gros­sir le gâteau. Mais ce sont tou­jours nos res­sources qui sont tou­chées, pas les pro­fits du CAC40, ni les pro­fits finan­ciers, ni les dividendes...

Cet entê­te­ment à vou­loir allon­ger la période tra­vaillée repose sur l'idée muti­lée selon laquelle l'espérance de vie aug­mente en France : si nous vivons plus long­temps, nous devrions donc tra­vailler plus long­temps. Or si, en moyenne, l'espérance de vie aug­mente, elle n'augmente pas de la même manière pour tout le monde : beau­coup moins chez les ouvrierEs que chez les cadres. Et cet écart est encore plus grand pour ce qui concerne l'espérance de vie en bonne san­té : jusqu'à 10 ans d'écart ! Les cadres béné­fi­cient de retraites beau­coup plus éle­vées, beau­coup plus longues et peuvent en pro­fi­ter beau­coup plus long­temps en bonne san­té. D'après Eurostat, l'espé­rance de vie en bonne san­té s'établit en moyenne à 64,1 ans pour les femmes et à 62,7 ans pour les hommes. L'espérance de vie sans pro­blème phy­sique est en moyenne de 59 ans pour les hommes ouvriers. C'est pour­quoi, dans les faits et d'après l'INSEE, l'âge moyen de ces­sa­tion de toute acti­vi­té est de 60 ans : du fait de la fatigue, de la mala­die, les tra­vailleurs pré­fèrent finir leur car­rière au chô­mage et par­tir plus tôt avec une retraite de misère plu­tôt que de s'acharner à tra­vailler en mau­vaise san­té. Ce sont les cadres qui pro­fitent le plus du sys­tème de retraites, et pour comble, la réforme pré­voit de les exo­né­rer de coti­sa­tions lorsque leurs salaires dépassent les 10 000 euros par mois !

Avec la mise en place du sys­tème uni­ver­sel de retraites par points vou­lue par Macron, un « âge pivot » serait fixé à 64 ans. Seraient péna­li­sés d'une décote celles et ceux qui feront le choix de par­tir à l'âge légal de 62 ans. Et cet âge de 64 ans serait encore rele­vé régu­liè­re­ment à rai­son de 23 de l'espérance de vie offi­cielle – qui ne fait aucune dif­fé­rence entre les cadres et les ouvrierEs, et qui ne tient pas compte de l'espérance de vie en bonne san­té. Ce que veut Macron, c'est pous­ser les tra­vailleuses et tra­vailleurs à finir leur car­rière puis pas­ser toute leur retraite en mau­vaise san­té ; ou à par­tir en retraite quand nous sommes encore en bonne san­té, mais avec très peu de points et donc une pen­sion de misère... Et il se gar­ga­rise de nous lais­ser le choix !

D'un régime col­lec­tif fon­dé sur la soli­da­ri­té inter-générationnelle et sur des restes de jus­tice éga­li­taire, on pas­se­rait à un régime indi­vi­dua­li­sé, avec toutes les inéga­li­tés que cela implique. Car nous ne par­tons pas à éga­li­té dans cette socié­té. Il y a déjà aujourd'hui une ampli­fi­ca­tion des écarts au moment de la retraite par rap­port à ceux qui existent au tra­vail pour les salaires.

Et les femmes sont par­ti­cu­liè­re­ment concer­nées par ces inéga­li­tés. Dans l'économie actuelle, les femmes ne sont pas les égales des hommes : les salaires et retraites en sont la preuve. En 2014, le salaire des femmes était de 74,3% du salaire des hommes pour le régime géné­ral. En 2016, les nou­velles retrai­tées per­ce­vaient une retraite égale à 69% de celle des hommes ; alors que de très nom­breuses femmes tra­vaillent au-delà de 62 ans : 21% d'entre elles tra­vaillent jusqu'à 67 ans contre 8% des hommes. Les régimes par points, tel que celui vou­lu par la réforme Delevoye-Macron, ampli­fient encore les écarts sala­riaux pour les retraites. Encore une fois, la preuve est appor­tée par les com­plé­men­taires Agirc-Arrco, où les pen­sions des femmes cadres ne repré­sentent que 61% de celles des hommes et 41% pour les employées et ouvrières, alors que cet écart injuste est de 75% pour l'ensemble des régimes géné­raux en incluant les mesures de soli­da­ri­té et la pen­sion de réver­sion[7] – qui pro­fite à 4,4 mil­lions de per­sonnes dont 90% sont des femmes.

Dans le sys­tème de retraites actuel, des dis­po­si­tifs de soli­da­ri­té existent encore : prise en compte des congés mater­ni­té et pater­ni­té, des périodes de mala­die et de chô­mage indem­ni­sé, pen­sions de réver­sion, etc. Des dis­po­si­tifs qui contri­buent à cor­ri­ger un peu les inéga­li­tés dont sont vic­times les femmes, mais aus­si les jeunes ou les per­sonnes pré­ca­ri­sées. Avec la réforme Macron, des points seraient attri­bués seule­ment pour les périodes non tra­vaillées indem­ni­sées (pas pour le chô­mage non indem­ni­sé par exemple) ; ou une majo­ra­tion des points de seule­ment 5% par enfant pro­fi­te­rait à l'un des parents (en géné­ral l'homme puisqu'il gagne plus). Et le finan­ce­ment de ces maigres dis­po­si­tifs serait sépa­ré du bud­get du sys­tème des retraites par points, les ren­dant tri­bu­taires soit du bud­get de l'État, soit de l'équilibre des caisses de sécu­ri­té sociale, de l'Unedic... Un enjeu lié au fait vou­lu que ces « dépenses » ne devront pas dépas­ser 25% du mon­tant glo­bal des retraites. Ce sont donc les femmes, les jeunes, les per­sonnes pré­ca­ri­sées ou celles qui subissent des acci­dents de la vie ou des par­cours hachées qui seront encore plus lésées par un tel sys­tème à points. D'autant plus qu'en pre­nant en compte toute la car­rière – et non pas seule­ment les 25 meilleures années (ou les 10 meilleures comme c'était le cas avant 1993) –, le cal­cul des points frap­pe­rait fort sur les car­rières hachées, les temps par­tiels, les bas salaires... en somme sur les plus démuniEs.

 

Le mouvement social prend forme

A la suite du rap­port Delevoye, qui s'attaque à tout le monde, des sec­teurs ont réagi. Le 20 sep­tembre, l'intersyndicale de la RATP annon­çait une grève illi­mi­tée à par­tir du 5 décembre pour exi­ger le retrait pur et simple du pro­jet de retraites par points. Elle a très vite été rejointe par l'intersyndicale de la SNCF.

De nom­breux sec­teurs n'appellent pas à la grève illi­mi­tée mais à une jour­née de grève géné­rale le 5 décembre : dans le sec­teur des trans­ports, de l'énergie, des raf­fi­ne­ries, dans l'éducation natio­nale, dans la san­té, chez les étudiantEs, etc. On peut s'attendre à voir le pays blo­qué le 5 décembre, avec pro­ba­ble­ment plus d'un mil­lion de per­sonnes en mani­fes­ta­tions. D'autant plus que davan­tage de sec­teurs se ral­lient jour après jour à l'idée d'une grève reconductible.

Dans la genèse de ce mou­ve­ment du 5 décembre, qui rap­pelle à maints égards la grève géné­rale vic­to­rieuse de 1995, on constate une conver­gence de divers mou­ve­ments de contes­ta­tion, notam­ment entre les syn­di­cats et les Gilets Jaunes, ce qui laisse à pen­ser que le mou­ve­ment nais­sant com­mence à dépas­ser le simple cadre de la réforme des retraites. C'est l'ensemble des poli­tiques inéga­li­taires menées par Macron qui sont remises en cause, ce qui per­met de pen­ser que ce mou­ve­ment est poten­tiel­le­ment puis­sant et durable.

L'enjeu sera double à par­tir du 5 décembre : la recon­duc­tion de la grève va-t-elle dépas­ser le seul sec­teur des trans­ports ? Le sec­teur pri­vé va-t-il se mettre en mouvement ?

Face à cette mon­tée en puis­sance des tra­vailleuses et tra­vailleurs, le pou­voir vacille. Il mul­ti­plie les annonces alam­bi­quées : si le mou­ve­ment s'étend, il est pos­sible que le gou­ver­ne­ment décide que cette réforme ne s'appliquerait fina­le­ment qu'aux nou­velles et nou­veaux entrantEs sur le mar­ché du tra­vail, ce qui retar­de­rait consi­dé­ra­ble­ment l'application de cette réforme. Macron joue sa réélec­tion aux pro­chaines élec­tions pré­si­den­tielles : il serait contraint de lâcher quelques mesures spé­ci­fiques pour tel ou tel sec­teur mobi­li­sé, afin de dégon­fler la contestation.

Un mou­ve­ment qui veut gagner devra donc faire l'effort de la per­sé­vé­rance dans l'unité et la soli­da­ri­té jusqu'au bout, c'est-à-dire jusqu'au retrait pur et simple du pro­jet de réforme.

 

[1] La fédé­ra­tion SUD-Rail a fait savoir dans un com­mu­ni­qué qu'elle ne se ren­drait pas au minis­tère « pour se faire expli­quer ou pour négo­cier les délais de mise en appli­ca­tion du sys­tème uni­ver­sel de retraites à points ». Quand on com­bat un pro­jet néfaste, on ne va pas le négocier.

 

[2] Le nombre de tri­mestres d'assurance (coti­sés et assi­mi­lés) est limi­té à 4 par année civile, sauf si l'on peut béné­fi­cier d'une majo­ra­tion de durée d'assurance.

[3] La péni­bi­li­té au tra­vail répond à cer­tains cri­tères (tra­vail de nuit, en 3×8, tra­vail répé­ti­tif, tem­pé­ra­tures extrêmes, bruit, etc.) et fait l'objet d'une accu­mu­la­tion de points tout au long du contrat sur un compte pro­fes­sion­nel de pré­ven­tion (C2P) per­son­na­li­sé acces­sible ici.

[4] Si les parents sou­haitent se répar­tir les tri­mestres de majo­ra­tion d'adoption ou d'éducation, ils doivent en faire la demande dans les 6 mois sui­vant le 4ème anni­ver­saire de la nais­sance ou de l'adoption.

[5] Pour la retraite com­plé­men­taire, chacunE peut accé­der à son rele­vé de car­rière sur son espace per­son­nel du site de l'Agirc-Arrco.

[6] François Fillon est un homme poli­tique fran­çais de droite, membre de Les Républicains (LR), ancien ministre et Premier ministre, puis can­di­dat à l'élection pré­si­den­tielle de 2017. Il est mis en exa­men depuis le 14 mars 2017 pour « détour­ne­ments de fonds publics », « com­pli­ci­té et recel de détour­ne­ments de fonds publics », « com­pli­ci­té et recel d'abus de bien sociaux », « man­que­ments aux obli­ga­tions de décla­ra­tion à la Haute Autorité pour la trans­pa­rence de la vie publique », « tra­fic d'influence », « faux et usage de faux » et « escro­que­rie aggra­vée ». Un pro­cès se tien­dra en cor­rec­tion­nelle entre le 24 février et le 11 mars 2020.

Le Mouvement des Entreprises de France (MEDEF) est un syn­di­cat patro­nal qui pos­sède un sur­poids dans les orien­ta­tions éco­no­miques et sociales des poli­tiques fran­çaises, et qui défend les inté­rêts patronaux.

[7] La pen­sion de réver­sion cor­res­pond à une par­tie de la retraite dont béné­fi­ciait ou aurait pu béné­fi­cier l'assuréE décédéE. Elle est ver­sée, si cer­taines condi­tions sont rem­plies, à l'époux ou épouse survivantE. Dans le sec­teur pri­vé, elle est égale à 54% de la retraite dont béné­fi­ciait ou aurait pu béné­fi­cier le défunt, sans tenir compte des majo­ra­tions de retraite. Cette pen­sion de réver­sion est éga­le­ment atta­quée dans le pro­jet de retraites par points, qui de sur­croît ne s'ouvre même pas au PACS.

Photo de cou­ver­ture : Rad Cyrus

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