1. Témoignage
2. La protection de cette salariée avant tout !
Témoignage d’une conductrice victime de harcèlement lors d’un EV en taxi, qui nous rappelle une fois de plus que l’égalité femme-homme est loin d’être une réalité dans cette société phallocrate, machiste et sexiste.
Témoignage
En tant que conductrice de trains, je suis parfois amenée à faire des trajets en taxi. Samedi 23 mai 2020, n’ayant pas eu la possibilité de prendre un train de voyageurs pour rentrer de Marseille à Lyon en EV en raison des perturbations liées à la crise sanitaire du coronavirus, j’ai commandé un taxi auprès de la société contractuellement liée à VFLI, comme cela est autorisé par l’entreprise dans ce genre de cas. Une décision que je regrette amèrement. Un calvaire qui a duré près de 3 heures, avec le sentiment d’être prise au piège.
J’ai été victime d’un comportement totalement inapproprié, déplacé, inacceptable, d’une violence morale insupportable, de la part de ce chauffeur de taxi qui a clairement dépassé les limites de la déontologie professionnelle. Des paroles tendancieuses à connotation sexuelle, lourdes et insistantes. Une intrusion répétée visant à obtenir des informations sur ma vie privée.
- « Le sport en chambre ça fait du bien, je pourrais te surprendre… »
- « Moi aussi je peux t’épuiser »
- « Il y a encore certains domaines où je suis bon »
- « Tu habites où ? Si tu veux je te ramène chez toi ? Non mais vraiment, ça ne me dérange pas, si tu veux je te ramène chez toi… »
- « On pourrait aller boire un verre un jour ? »
Coincée à l’arrière d’un véhicule sur autoroute au beau milieu de la campagne, on cherche comme on peut une échappatoire, un moyen de s’extraire d’une telle situation oppressante. Pour qu’il me laisse tranquille, j’ai eu la mauvaise idée de lui dire que j’avais une copine. Propos qui, je sais, ne marche absolument plus depuis la nuit des temps pour faire comprendre gentiment à un homme de passer son chemin, mais bon, dans la panique et sur un malentendu, peut-être que…
- « Ah bon, vous vous voyez souvent ? Pas trop dur le confinement, vous arrivez à vous occuper ? »
- « Tu habites en appartement ? »
- « Tu viens souvent à Marseille ? » « Tu dors où quand tu viens à Marseille ? »
- « Ça fait longtemps, c’est comment ? » « Tu ne l’épuises pas trop au moins ? »
On se sent acculée, violentée psychologiquement, injustement traitée, simplement parce qu’on est une femme. Ce chauffeur n’aurait jamais tenu de tels propos si j’avais été un homme. D’ailleurs, mes collègues masculins n’ont jamais déploré ce genre d’actes de la part de chauffeurs de taxi. Du coup, prise au piège de la totale dépendance à sa mission, avec pour seul objectif de rentrer chez soi, on se terre dans le silence et on attend que ça passe vite, en espérant que ça ne dégénère pas plus…
A un moment, sans prévenir, il a pris la direction d’une aire d’autoroute. Le stress total. Quand il a vu dans le rétroviseur ma tête décomposée, il a rigolé : « Non mais, ne t’inquiète pas, je remets juste de l’essence… »
Il savait donc que je n’étais pas du tout à l’aise. Il cherchait sans cesse dans son rétroviseur intérieur une approbation ou un signe de ma part. Il se jouait de moi. Se sentant maître de la situation, il prenait du plaisir à dominer.
On se sent en insécurité, mal à l’aise, dans une ambiance pesante et malsaine. On n’a aucun contrôle sur la situation : on est sur l’autoroute, à l’arrière d’une voiture où l’on n’est que passagère. On est en position de faiblesse. On se dit que le moindre geste ou la moindre parole pourrait dégénérer à tout moment. On ne connait pas la personne en face de soi, ce qu’elle a dans la tête, ses intentions. On imagine tous les scénarios possibles et comment y échapper. On se sent impuissante, on regarde tous les panneaux pour voir si on se dirige bien dans la bonne direction. On met discrètement son GPS sur son téléphone pour se rassurer, et on regarde sur internet les dernières techniques pour se défendre en cas d’agression.
On tente de rester la plus calme possible sans attirer l’attention sur soi. On se force à rester courtoise et professionnelle, parce qu’on est tout de même en situation de travail, et on fait semblant de ne pas être atteinte alors qu’en fait on est paralysée. On compte chaque minute qui passe, et chaque minute paraît une éternité. En réalité, on se sent atteinte dans son intégrité physique (le jugement porté sur son corps) et morale (l’irrespect).
A la fin du long calvaire, il faut rentrer chez soi la boule au ventre, en regardant si l’on n’est pas suivie. On repense à ce que l’on vient de vivre, on se refait le film en boucle. On cherche des réponses à des questions qui n’ont pas lieu d’être : pourquoi moi ? Qu’ai-je pu dire ou faire inconsciemment pour attirer l’attention ? Pour mériter ça ?
Aujourd’hui j’ai peur de revivre ce genre de situation, et surtout la peur de retomber sur cette personne, un risque très probable, si rien n’est fait, compte tenu de mes missions professionnelles régulières à Marseille, d’autant plus qu’il attend très souvent à la sortie du triage. Je ne veux plus être approchée par cette personne.
Si cette histoire se sait, je crains également la honte, l’humiliation, le regard et les jugements d’autrui :
- « Ça ne me concerne pas »
- « Ça devait arriver à force, elle l’a cherché »
- « C’est peut-être de sa faute »
- « Dans le fond, ce n’est pas si grave... »
Toutes ces réactions tellement courantes qui amènent finalement à la banalisation de la violence sexiste, qui méprisent les victimes, et qui font que trop souvent ces dernières préfèrent se taire. Je ne veux pas me taire, ni être jugée, mais écoutée et défendue.
Si des mesures sont prises pour m’éviter de revivre une telle situation, et que le chauffeur en question en est informé de quelque manière que ce soit, j’ai peur des représailles ou qu’il me demande des explications. Je ne veux pas qu’il soit au courant de ce que j’ai vécu, ni qu’il ait la moindre information sur moi ou sur ma vie. Je ne veux pas non plus que lui soit apportée une satisfaction personnelle s’il venait à apprendre qu’il a réussi à me terroriser de la sorte.
Je n’ai pas choisi de vivre cette situation, je n’ai jamais demandé à la vivre ! Et me voilà contrainte de subir une triple peine. Personne ne devrait avoir peur d’aller bosser ou de rentrer chez soi… Je veux pouvoir travailler en toute sérénité.
La protection de cette salariée avant tout !
Compte tenu des craintes totalement justifiées de cette salariée, nous demandons à la direction que soit prises des mesures qui lui garantissent une entière sécurité.
Si un signalement auprès de l’agence de taxi dont relève ce chauffeur doit être fait, puisqu’il s’agit d’actes qualifiés d’outrage sexiste ou de harcèlement sexuel pénalement répréhensibles respectivement par les articles 621-1 et 222-33 du Code pénal, il importe avant tout de prévoir la protection de la salariée en vue d’empêcher toute possibilité de représailles.
Un changement de planning lui permettant de se tenir éloignée de Marseille pendant quelques mois serait une première mesure salutaire.
D’ici son retour sur ces missions, nous demandons que soit fait appel à une autre société de taxis de Marseille pour cette salariée, avec un contrat prévoyant que seules des chauffeuses réalisent les commandes de cette salariée. Tout risque de réitération doit être évité.
A l’argument consistant à dire qu’une telle mesure serait discriminante à l’égard de ses collègues masculins, nous répondons que serait discriminant précisément le fait de laisser seule cette salariée être confrontée aux risques d’outrage, de harcèlement, d’agression sexistes ou sexuelles.
Le monde ferroviaire est trop masculin. Nous voulons une entreprise ferroviaire qui accorde une juste place aux femmes, et fasse en sorte que celles-ci soient plus nombreuses et s’y sentent suffisamment bien, au même titre que les hommes. Un tel objectif passe par des mesures spécifiques, qui encouragent auprès des femmes non seulement l’attractivité du secteur et de l’ensemble des métiers concernés, mais aussi leur désir d’y rester et d’y faire carrière. De telles mesures portent inévitablement sur la prévention des risques d’outrage, de harcèlement et d’agression sexistes ou sexuelles.
Le ferroviaire de demain se fera dans l’égalité femme-homme ou ne se fera pas !