« Je veux pouvoir travailler en toute sérénité »
3 juin 2020
Sommaire

1. Témoignage

2. La pro­tec­tion de cette sala­riée avant tout !

Témoignage d’une conduc­trice vic­time de har­cè­le­ment lors d’un EV en taxi, qui nous rap­pelle une fois de plus que l’égalité femme-homme est loin d’être une réa­li­té dans cette socié­té phal­lo­crate, machiste et sexiste.

Témoignage

En tant que conduc­trice de trains, je suis par­fois ame­née à faire des tra­jets en taxi. Samedi 23 mai 2020, n’ayant pas eu la pos­si­bi­li­té de prendre un train de voya­geurs pour ren­trer de Marseille à Lyon en EV en rai­son des per­tur­ba­tions liées à la crise sani­taire du coro­na­vi­rus, j’ai com­man­dé un taxi auprès de la socié­té contrac­tuel­le­ment liée à VFLI, comme cela est auto­ri­sé par l’entreprise dans ce genre de cas. Une déci­sion que je regrette amè­re­ment. Un cal­vaire qui a duré près de 3 heures, avec le sen­ti­ment d’être prise au piège.

J’ai été vic­time d’un com­por­te­ment tota­le­ment inap­pro­prié, dépla­cé, inac­cep­table, d’une vio­lence morale insup­por­table, de la part de ce chauf­feur de taxi qui a clai­re­ment dépas­sé les limites de la déon­to­lo­gie pro­fes­sion­nelle. Des paroles ten­dan­cieuses à conno­ta­tion sexuelle, lourdes et insis­tantes. Une intru­sion répé­tée visant à obte­nir des infor­ma­tions sur ma vie privée.

- « Le sport en chambre ça fait du bien, je pour­rais te sur­prendre… »
- « Moi aus­si je peux t’épuiser »
- « Il y a encore cer­tains domaines où je suis bon »
- « Tu habites où ? Si tu veux je te ramène chez toi ? Non mais vrai­ment, ça ne me dérange pas, si tu veux je te ramène chez toi… »
- « On pour­rait aller boire un verre un jour ? »

Coincée à l’arrière d’un véhi­cule sur auto­route au beau milieu de la cam­pagne, on cherche comme on peut une échap­pa­toire, un moyen de s’extraire d’une telle situa­tion oppres­sante. Pour qu’il me laisse tran­quille, j’ai eu la mau­vaise idée de lui dire que j’avais une copine. Propos qui, je sais, ne marche abso­lu­ment plus depuis la nuit des temps pour faire com­prendre gen­ti­ment à un homme de pas­ser son che­min, mais bon, dans la panique et sur un mal­en­ten­du, peut-être que…

- « Ah bon, vous vous voyez sou­vent ? Pas trop dur le confi­ne­ment, vous arri­vez à vous occu­per ? »
- « Tu habites en appar­te­ment ? »
- « Tu viens sou­vent à Marseille ? » « Tu dors où quand tu viens à Marseille ? »
- « Ça fait long­temps, c’est com­ment ? » « Tu ne l’épuises pas trop au moins ? »

On se sent accu­lée, vio­len­tée psy­cho­lo­gi­que­ment, injus­te­ment trai­tée, sim­ple­ment parce qu’on est une femme. Ce chauf­feur n’aurait jamais tenu de tels pro­pos si j’avais été un homme. D’ailleurs, mes col­lègues mas­cu­lins n’ont jamais déplo­ré ce genre d’actes de la part de chauf­feurs de taxi. Du coup, prise au piège de la totale dépen­dance à sa mis­sion, avec pour seul objec­tif de ren­trer chez soi, on se terre dans le silence et on attend que ça passe vite, en espé­rant que ça ne dégé­nère pas plus…

A un moment, sans pré­ve­nir, il a pris la direc­tion d’une aire d’autoroute. Le stress total. Quand il a vu dans le rétro­vi­seur ma tête décom­po­sée, il a rigo­lé : « Non mais, ne t’inquiète pas, je remets juste de l’essence… »

Il savait donc que je n’étais pas du tout à l’aise. Il cher­chait sans cesse dans son rétro­vi­seur inté­rieur une appro­ba­tion ou un signe de ma part. Il se jouait de moi. Se sen­tant maître de la situa­tion, il pre­nait du plai­sir à dominer.

On se sent en insé­cu­ri­té, mal à l’aise, dans une ambiance pesante et mal­saine. On n’a aucun contrôle sur la situa­tion : on est sur l’autoroute, à l’arrière d’une voi­ture où l’on n’est que pas­sa­gère. On est en posi­tion de fai­blesse. On se dit que le moindre geste ou la moindre parole pour­rait dégé­né­rer à tout moment. On ne connait pas la per­sonne en face de soi, ce qu’elle a dans la tête, ses inten­tions. On ima­gine tous les scé­na­rios pos­sibles et com­ment y échap­per. On se sent impuis­sante, on regarde tous les pan­neaux pour voir si on se dirige bien dans la bonne direc­tion. On met dis­crè­te­ment son GPS sur son télé­phone pour se ras­su­rer, et on regarde sur inter­net les der­nières tech­niques pour se défendre en cas d’agression.

On tente de res­ter la plus calme pos­sible sans atti­rer l’attention sur soi. On se force à res­ter cour­toise et pro­fes­sion­nelle, parce qu’on est tout de même en situa­tion de tra­vail, et on fait sem­blant de ne pas être atteinte alors qu’en fait on est para­ly­sée. On compte chaque minute qui passe, et chaque minute paraît une éter­ni­té. En réa­li­té, on se sent atteinte dans son inté­gri­té phy­sique (le juge­ment por­té sur son corps) et morale (l’irrespect).

A la fin du long cal­vaire, il faut ren­trer chez soi la boule au ventre, en regar­dant si l’on n’est pas sui­vie. On repense à ce que l’on vient de vivre, on se refait le film en boucle. On cherche des réponses à des ques­tions qui n’ont pas lieu d’être : pour­quoi moi ? Qu’ai-je pu dire ou faire incons­ciem­ment pour atti­rer l’attention ? Pour méri­ter ça ?

Aujourd’hui j’ai peur de revivre ce genre de situa­tion, et sur­tout la peur de retom­ber sur cette per­sonne, un risque très pro­bable, si rien n’est fait, compte tenu de mes mis­sions pro­fes­sion­nelles régu­lières à Marseille, d’autant plus qu’il attend très sou­vent à la sor­tie du triage. Je ne veux plus être appro­chée par cette personne.

Si cette his­toire se sait, je crains éga­le­ment la honte, l’humiliation, le regard et les juge­ments d’autrui :
- « Ça ne me concerne pas »
- « Ça devait arri­ver à force, elle l’a cher­ché »
- « C’est peut-être de sa faute »
- « Dans le fond, ce n’est pas si grave... »

Toutes ces réac­tions tel­le­ment cou­rantes qui amènent fina­le­ment à la bana­li­sa­tion de la vio­lence sexiste, qui méprisent les vic­times, et qui font que trop sou­vent ces der­nières pré­fèrent se taire. Je ne veux pas me taire, ni être jugée, mais écou­tée et défendue.

Si des mesures sont prises pour m’éviter de revivre une telle situa­tion, et que le chauf­feur en ques­tion en est infor­mé de quelque manière que ce soit, j’ai peur des repré­sailles ou qu’il me demande des expli­ca­tions. Je ne veux pas qu’il soit au cou­rant de ce que j’ai vécu, ni qu’il ait la moindre infor­ma­tion sur moi ou sur ma vie. Je ne veux pas non plus que lui soit appor­tée une satis­fac­tion per­son­nelle s’il venait à apprendre qu’il a réus­si à me ter­ro­ri­ser de la sorte.

Je n’ai pas choi­si de vivre cette situa­tion, je n’ai jamais deman­dé à la vivre ! Et me voi­là contrainte de subir une triple peine. Personne ne devrait avoir peur d’aller bos­ser ou de ren­trer chez soi… Je veux pou­voir tra­vailler en toute sérénité.

La pro­tec­tion de cette sala­riée avant tout !

Compte tenu des craintes tota­le­ment jus­ti­fiées de cette sala­riée, nous deman­dons à la direc­tion que soit prises des mesures qui lui garan­tissent une entière sécurité.

Si un signa­le­ment auprès de l’agence de taxi dont relève ce chauf­feur doit être fait, puisqu’il s’agit d’actes qua­li­fiés d’outrage sexiste ou de har­cè­le­ment sexuel péna­le­ment répré­hen­sibles res­pec­ti­ve­ment par les articles 621-1 et 222-33 du Code pénal, il importe avant tout de pré­voir la pro­tec­tion de la sala­riée en vue d’empêcher toute pos­si­bi­li­té de représailles.

Un chan­ge­ment de plan­ning lui per­met­tant de se tenir éloi­gnée de Marseille pen­dant quelques mois serait une pre­mière mesure salutaire.

D’ici son retour sur ces mis­sions, nous deman­dons que soit fait appel à une autre socié­té de taxis de Marseille pour cette sala­riée, avec un contrat pré­voyant que seules des chauf­feuses réa­lisent les com­mandes de cette sala­riée. Tout risque de réité­ra­tion doit être évité.

A l’argument consis­tant à dire qu’une telle mesure serait dis­cri­mi­nante à l’égard de ses col­lègues mas­cu­lins, nous répon­dons que serait dis­cri­mi­nant pré­ci­sé­ment le fait de lais­ser seule cette sala­riée être confron­tée aux risques d’outrage, de har­cè­le­ment, d’agression sexistes ou sexuelles.

Le monde fer­ro­viaire est trop mas­cu­lin. Nous vou­lons une entre­prise fer­ro­viaire qui accorde une juste place aux femmes, et fasse en sorte que celles-ci soient plus nom­breuses et s’y sentent suf­fi­sam­ment bien, au même titre que les hommes. Un tel objec­tif passe par des mesures spé­ci­fiques, qui encou­ragent auprès des femmes non seule­ment l’attractivité du sec­teur et de l’ensemble des métiers concer­nés, mais aus­si leur désir d’y res­ter et d’y faire car­rière. De telles mesures portent inévi­ta­ble­ment sur la pré­ven­tion des risques d’outrage, de har­cè­le­ment et d’agression sexistes ou sexuelles.

Le fer­ro­viaire de demain se fera dans l’égalité femme-homme ou ne se fera pas !

A lire dans la même catégorie

Réfugiés : Droit d'alerte DGI à Dunkerque

Réfugiés : Droit d'alerte DGI à Dunkerque

Les CDL du site de Dunkerque paient depuis plu­sieurs mois les consé­quences de la poli­tique migra­toire inhu­maine menée par l'Etat fran­çais. Dans l'exercice de leur tra­vail, qu'ils sont contraints de mener dans un envi­ron­ne­ment tota­le­ment insé­cu­ri­sé du fait de la pré­sence mas­sive de réfugiéEs sur une voie fer­rée qu'ils empruntent quo­ti­dien­ne­ment, leur vie, leur san­té, sont mena­cées. C'est pour­quoi la délé­ga­tion SUD-Rail au CSE a dépo­sé un droit d'alerte pour dan­ger grave et immi­nent. Les sala­riés concer­nés ont fait usage de leur droit de retrait.

LE SITE DE PORTET EN GREVE !

LE SITE DE PORTET EN GREVE !

Ce lun­di 10 jan­vier 2022, les sala­riés du site de Portet-sur-Garonne, œuvrant pour le compte du client Malet, se sont mis en grève dès 3h20 du matin, et pour une durée indéterminée !

Une affaire de badges : tout ça pour ça…

Une affaire de badges : tout ça pour ça…

Dans la « région » Sud-Est de l’entreprise, les salariéEs ont mis une année (sic) pour obte­nir des badges. Afin que chacunE puisse consta­ter com­ment la direc­tion Sud-Est les a fait « tour­ner en bour­rique », voi­ci l’intégralité des ques­tions écrites posées par les RP SUD-Rail, et les réponses écrites appor­tées par la direc­tion. La patience, la déter­mi­na­tion et la per­sé­vé­rance auront fina­le­ment eu gain de cause.

Engins moteurs : Arrêtez le massacre !

Engins moteurs : Arrêtez le massacre !

Les ano­ma­lies, pannes, absences d’engins moteurs (EM) n’en finissent plus dans l’entreprise. Ces der­niers temps, les condi­tions de tra­vail se sont consi­dé­ra­ble­ment dégra­dées du fait du mau­vais état des EM et de la mau­vaise ges­tion du parc loco­mo­tives. Voici le plan d’action de la direc­tion : chacunE pour­ra juger les résultats.

SOUTIEN A ALEXANDRE !

SOUTIEN A ALEXANDRE !

Au mois d’octobre, Alexandre, chef de site adjoint pro­duc­tion sur le site de Lyon com­bi­né, a été mis en arrêt de tra­vail pen­dant un mois, suite à un burn-out… Des conduc­teurs dont il a la charge réagissent et affichent par ces mots leur solidarité.

Rendez-nous nos retraites !

Rendez-nous nos retraites !

Le gou­ver­ne­ment de Macron cherche actuel­le­ment à faire pas­ser un pro­jet de réforme du sys­tème des retraites. Qu'est-ce que cette réforme chan­ge­rait à nos condi­tions de tra­vail et de retraite ? Pourquoi faut-il abso­lu­ment s'y oppo­ser ? Explications.

Aidez-nous !

Aidez-nous !

Pour que Voix-Libres vive nous avons besoin de votre participation. Que vous soyez adhérent à Sud-Rail VFLI ou non, vous êtes libres de participer au projet si cela vous tente.

Comme vous pouvez le constater, certaines rubriques du site sont encore vides ou peu fournies. Si le cœur vous en dit, n'hésitez pas à nous contacter pour nous faire part de vos idées.

 Si vous avez déjà un article sous la main à proposer,  vous pouvez l'envoyer au format pdf via la rubrique contact. Vous pouvez également nous envoyer des photos qui pourront être selectionnées pour la photo du mois.

 

SOUMETTRE UN ARTICLE

You have Successfully Subscribed!

Partagez !

Si vous avez aimé, n’hésitez pas à partager !

Photo de Dylan Gillis sur Unsplash