1. Panorama de la situation
2. Les causes de cette situation
3. Le plan d’action de la direction
Les anomalies, pannes, absences d’engins moteurs (EM) n’en finissent plus dans l’entreprise. Ces derniers temps, les salariéEs ont traversé une période inédite par sa durée, où les conditions de travail se sont considérablement dégradées du fait du mauvais état des EM et de la mauvaise gestion du parc locomotives. La délégation SUD-Rail au CSE de Captrain a porté les problèmes lors de la réunion du 25 février 2021, et demandé à connaître le détail du plan d’action de la direction.
Panorama de la situation
Un plan d’action avait déjà été évoqué par la direction il y a plusieurs mois concernant notamment les EM électriques. Mais les salariéEs ne voient absolument aucune différence depuis que la direction en parle, voire la situation a empiré. Ces difficultés surviennent en général par « vague », notamment en fonction des conditions climatiques. Mais dernièrement, beaucoup de « vagues » intenses s’accumulent et, particulièrement depuis au moins décembre 2020, les salariéEs n’en voient pas le bout…
Lorsque ces problèmes font l’objet de discussions dans les instances de représentation du personnel, la direction nous renvoie toujours aux procédures à bien suivre les cas échéants, faisant l’impasse sur le fait que nous affirmons que les carnets de bord (CB) sont systématiquement annotés, que les FEM sont faites comme il se doit [1], mais que, trop souvent, ce sont les réparations qui ne le sont pas.
Ce qui est insupportable, c’est de constater que des EM peuvent entrer au dépôt pour des problèmes précis, signalés, bien identifiés, et en ressortir avec exactement le même problème, à tel point que c’est à se demander si la moindre opération a eu lieu sur l’EM avarié.
Les exemples concrets de la situation générale se multiplient aux quatre coins du pays :
- On se retrouve dans des machines où les disfonctionnements sont signalés depuis des semaines et où on subit la pénible contrainte d’une demande de secours à cause du problème signalé qui n’a pas été traité ;
- Des machines entrent au dépôt, en ressortent sans qu’aucune indication soit annotée au CB, si bien qu’on ne sait pas quelles opérations ont été effectuées sur l’EM ; on suppose a priori que tout fonctionne bien ; et une semaine plus tard, on subit à nouveau une demande de secours à cause du même disfonctionnement ;
- Des plats aux roues sont régulièrement signalés par plusieurs conducteurs/trices sur un même EM, donc forcément avérés ; les EM ressortent d’atelier avec la mention « RAS » concernant les plats aux roues qui ne sont pas reprofilées ; et ces EM sont remis en circulation ;
- Des EM tournent pendant plusieurs semaines avec des anomalies radio (dispositif de sécurité) et obligent les CDL à rouler avec des radios de secours ; ces problèmes radio sont bien expliqués sur la FEM et au CB ; des mainteneurs viennent, font des essais, changent des pièces, mais lorsqu’on reprend la machine, qu’on fait un test, la radio ne fonctionne toujours pas ;
- Des EM tournent pendant plusieurs semaines alors que des signalements ont été faits concernant les compresseurs ; l’encadrement attend que la machine ne soit plus apte, qu’elle tombe HS pour dire qu’il va faire quelque chose ;
- Des EM roulent pendant des mois avec un moteur de traction isolé ;
- Des EM circulent avec des pages 400, dont « Locomotive inutilisable », et personne n’est au courant, il n’y a aucun historique ; la hotline fait effacer les pages, sans réparation des EM ;
- Des machines ne disposent même pas de CB ;
- Lorsqu’un EM sort d’un atelier, il n’y a aucun état des lieux de ce qui a été fait sur la locomotive ; donc on reprend des locomotives dont on ne sait pas s’il y a eu intervention ou non ; souvent, à peine sortie, la locomotive plante ; cette absence d’état des lieux est un problème remonté par le Matériel depuis 10 ans ;
- Il y a des problèmes de disponibilité et de fiabilité des EM, en particulier les 27000 et 37000 (électriques), mais aussi la G12-106 et les Euro4000 (diésel) ;
- Faute d’EM disponibles, sur certains trafics les CDL sont systématiquement contraints d’attendre l’acheminement d’une machine pour pouvoir faire leur train ; un départ prévu dans la marche par exemple vers midi se fait généralement vers 15h ou 16h ; et un retard engendre un autre retard, etc. ; ce qui pose de sérieux problèmes de dépassements d’amplitude prévisibles ;
- Des décisions sont prises en dérogation, régulièrement, pour faire circuler des trains en prenant des risques sur l’exploitation : le dirigeant est conscient qu’il fait partir le train tout en sachant que ce train peut avoir un problème en ligne ;
- Lorsqu’unE CDL est victime d’une anomalie d’EM (explosion d’un condensateur par exemple), la hiérarchie peut lui reprocher de ne pas avoir appliqué correctement la documentation, même si la situation n’y est pas reprise, comme si les CDL étaient responsables de la situation, alors qu’ils ou elles font ce qu’ils ou elles peuvent sur le terrain pour assurer les trains coûte que coûte et gérer les anomalies, que c’est plutôt l’état des machines qui est à déplorer et que rien n’est fait par rapport aux signalements qui sont faits ;
- Des trains sont calés en pleine mission à cause des disfonctionnements ;
- Les équipes fatiguent, y compris celles du Matériel ;
- Les clients s’agacent, notamment les clients qui ont des trafics sensibles, sur le
combiné, sur les eaux minérales, etc., et bon nombre d’entre eux se plaignent.
Aujourd’hui, l’impression dominante est qu’il ne se passe pas une journée sans qu’il n’y ait une machine qui claque. Les salariéEs n’ont pas le sentiment, en tout cas, qu’il y ait, malgré les signalements, quelque chose qui soit fait.
On se retrouve dans une situation où il y a un certain nombre de trains qui doivent être annulés, ce qui impacte les résultats de l’entreprise et les relations avec les clients.
Et évidemment, cette situation d’anomalies récurrentes des EM génère des conditions de travail pénibles. Le fait de prendre un EM avarié, le sentiment que rien n’avance malgré les signalements, tout cela crée un stress, un sentiment d’anxiété à la prise de service, qui en devient dangereux puisqu’on sait que le stress, l’anxiété, peuvent amener à faire des erreurs dans notre travail, qui est avant tout un travail de sécurité, où une erreur peut avoir des conséquences très graves.
De plus, certainEs conducteurs/trices subissent parfois des pressions de leur hiérarchie afin que le travail soit fait coûte que coûte, ces dernierEs ne sachant pas s’ils ou elles peuvent refuser de tirer les trains dans ces conditions déplorables.
Ces anomalies récurrentes ont également des conséquences sur le temps de travail, avec des journées à rallonge, des amplitudes dépassées, a fortiori des repos réduits, et donc de la fatigue accumulée qui impacte nos vies, au-delà même du travail.
Or l’employeur a une obligation de résultats en matière de sécurité : il est tenu par la loi de prendre toutes les mesures nécessaires pour assurer la sécurité et protéger la santé physique et mentale de ses salariéEs.
Les causes de cette situation
La direction explique cette situation essentiellement par :
- Des problèmes de pilotage des sous-traitants de Captrain France, pour l’entretien des EM, qui sont Akiem pour les EM électriques, et Erion pour les EM thermiques ;
- Des problèmes de pilotage dans les propres ateliers de Captrain France ;
- Une désorganisation de la gestion de parc, qui génère notamment des « parcours parasites » (des acheminements supplémentaires du fait que les locomotives ne sont pas toujours au bon endroit au bon moment) ;
- L’hiver a été plus rigoureux que d’habitude ;
- Les opérations de fiabilisation du parc 27000-37000 qui ont été décidées ont pris du retard : faute d’approvisionnement de pièces, défaut d’organisation dans les ateliers pour pouvoir traiter toutes les réparations actuelles, et absence de personnel dans certains endroits du fait de la pandémie de Covid ;
- Il y a eu des problèmes de pièces sur les archets, sur les pantographes 1500V, sur les consoles Jetpack, qui sont en obsolescence : sur ces EM qui ont maintenant une vingtaine d’années, certaines pièces ne se font plus ;
- Il y a sur le parc actuellement un certain nombre d’indisponibilités liées à des retards de maintenance qui ont été accumulées, à un engorgement des tours en fosse qui permettraient de traiter certains engins qui ont besoin de reprofiler leurs essieux ;
- L’arrêt de certaines prestations sur Vénissieux et Avignon en tant qu’ateliers électriques pose des difficultés sur le traitement des engins dans ces zones-là ;
- Certains ateliers, comme à Villeneuve ou à Lens, ont subi des difficultés liées à la pandémie de Covid, avec par exemple à Lens une période où 20 personnes ont été arrêtées (une sorte de cluster).
Le plan d’action de la direction
La direction s’est donc engagée sur un certain nombre de mesures et d’orientations, dont chaque salariéE de l’entreprise doit avoir connaissance afin d’en évaluer l’efficacité et les résultats.
La direction a prévenu d’entrée de jeu : elle n’est pas en mesure de donner des échéances et il y a, selon elle, un tel travail à réaliser que la situation ne pourra s’améliorer du jour au lendemain… « Il va falloir être patient et courageux » (sic) …
- Faire monter la pression à tous les niveaux auprès des sous-traitants afin d’obtenir de leur part le niveau de qualité requis ;
- Pour les problèmes de disponibilité des EM, mettre une pression forte sur les fournisseurs d’Akiem que sont Masteris ou Alstom (ce sont eux les acteurs de l’entretien des locomotives de Captrain France) ;
- Exiger d’Akiem et du Matériel du Groupe SNCF d’avoir temporairement à disposition plus de locomotives dans le contexte actuel, et que des priorités soient données en termes de maintenance aux EM qui sont utilisés par Captrain France par rapport à d’autres EM ;
- Acquérir de nouvelles locomotives chez Fret SNCF (six sont d’ores et déjà en exploitation), qui ont connu des opérations de fiabilisation plus anticipées que celles utilisées chez Akiem ;
- Demander que les équipes d’Akiem viennent travailler au même endroit que les équipes de Captrain France, afin que les équipes d’Akiem prennent la mesure de la situation ;
- Demander qu’un nouveau point soit fait à 14h en plus du point qui est fait quotidiennement à 9h, pour faire le point sur la situation du soir et être clair sur les locomotives qui seront disponibles le soir, quitte dans certains cas à sortir des locomotives des ateliers par dérogation, même si elles n’ont pas été traitées en termes de maintenance (non pas celles en panne, mais celles qui sont en maintenance préventive : on repousse le délai d’échéance de cette maintenance) ;
- Demander que les mainteneurs viennent à la locomotive, ou en tout cas que la maintenance se fasse dans l’atelier le plus proche du lieu où se situe la locomotive ;
- Demander la mise en place d’équipes de maintenance mobiles, qui passent deux fois par semaine (le lundi et le mercredi) à Lille, Marseille, Valenton et Modane, pour ausculter les locomotives qui tournent sur un tapis sans rentrer à l’atelier, afin d’anticiper les aléas ;
- Réorganiser les process de travail au niveau de la gestion de parc par l’expérimentation d’une gestion avec d’un côté des acteurs qui s’occupent plutôt du matériel et de la relation avec les mainteneurs, et de l’autre des acteurs qui sont plutôt en charge de l’exploitation et donc de l’acheminement des locomotives et de leur affectation sur les trains commerciaux ; c’est-à-dire désolidariser la mission de gestion de la maintenance des locomotives de la mission de leur acheminement et de leur exploitation en service commercial, tout en restant dans une structure au même endroit, centralisée, au sein d’un même bureau, avec des acteurs qui sont en lien avec les mainteneurs, qu’ils soient internes ou externes (Captrain Matériel ou Erion ou Masteris), dans une logique qui permettrait de s’assurer que les mainteneurs externes aient bien toutes les informations à l’entrée en atelier d’un engin, et à côté des personnes qui s’occupent de l’acheminement des locomotives, de leur suivi, pour que celles-ci soient bien affectées sur les trains commerciaux ;
- Poursuivre les opérations de fiabilisation des EM électriques ;
- Mettre en place un plan de fiabilisation prévu sur les groupes compresseur, les contacteurs pour les moteurs, les disjoncteurs, et la radio ;
- Mettre en oeuvre les remplacements de pièces prévus sur l’ensemble du parc ;
- Traiter les récurrences (les EM qui ressortent d’atelier avec les mêmes pannes) ;
- Organiser un suivi très fin des EM arrêtés pour des raisons liées à des aléas d’exploitation (accidents, chocs) de sorte que ces locomotives, qui sont saines d’un point de vue fiabilité, puissent être réengagées le plus vite possible sur l’exploitation ;
- Organiser un suivi très fin des EM qui sont en attente de tour en fosse et qu’on peut remettre assez rapidement en exploitation ;
- Identifier et évacuer les EM « récidivistes » pour ne pas, si possible, les positionner sur les trains sensibles ;
- Finaliser les opérations de fiabilisation des Euro4000 ;
- Instaurer une période de recouvrement entre l’arrivée progressive des Euro4001 et la restitution des Class77, c’est-à-dire ne pas tabler sur le fait que dès leur arrivée tout va bien se passer ;
- Passer commande de trois passerelles mobiles, comme celle de Thionville, qui permettent à la fois de regarder ce qui se passe au niveau des archets, de l’usure, des pantographes et de la toiture, et de pouvoir intervenir en cas de problème, puis identifier les sites où elles seront positionnées ;
- Envisager l’habilitation de Captrain France à pouvoir remplacer les archets sur les 27000 et 37000 ;
- Demander que Captrain Matériel fasse de la communication largement auprès des salariéEs sur ce sujet de l’état du parc locomotives, pour leur expliquer la situation et ce qui est fait ;
- Regarder quelles seraient les locomotives du futur pour tirer des trains en électrique chez Captrain France.
La direction a expressément reconnu que la situation n’est pas acceptable, que ce soit pour les conducteurs/trices, pour les opérateurs/trices au sol, mais également les acteurs/trices qui pilotent la gestion des engins, et que cette situation n’est pas tenable dans le temps.
Sans préjuger si ce sont des paroles en l’air, la délégation SUD-Rail restera vigilante sur la mise en oeuvre de ce plan d’action, ne jugera que sur les résultats, et invite pour ce faire les salariéEs à nous faire remonter leurs retours d’expérience.
[1] Dans la foulée du CSE du 25 février 2021, les salariéEs concernéEs ont reçu la consigne, sur demande des équipes du Matériel et de l’Exploitation, selon laquelle désormais les déclarations d’incidents des machines électriques (FEM) doivent se faire via l’application Railfleet, et non plus par avis du PC Captrain. Il est prévu que ce soit bientôt également le cas pour le parc thermique.