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Cela fait maintenant 25 jours que les cheminotEs de la SNCF sont en grève reconductible pour obtenir le retrait du projet de réforme des retraites voulu par le gouvernement de Macron. Chez VFLI, les salariéEs sont globalement favorables au mouvement, mais ne se sentent pas assez concernéEs pour entrer en action. Pourtant, l'enjeu est d'importance pour l'avenir du ferroviaire.
LES CHEMINOTS AU RENDEZ-VOUS
Les cheminotEs sont en grève reconductible depuis le 5 décembre. 25 jours sans être payéEs. En nombre de jours, c'est déjà plus que la grève victorieuse de 1995. Et les taux de grévistes battent des records. Ils et elles sont en lutte pour défendre les retraites de touTEs, pas seulement les leurs. Et ils et elles ne sont pas seulEs en lutte : les salariéEs de la RATP, des raffineries, de l'énergie, les fonctionnaires de l'éducation nationale, de la santé, les professions libérales, etc., sont aussi de la bataille ; malheureusement seulEs les agentEs de la SNCF et de la RATP tiennent bon dans la grève reconductible.
25 jours sans être payé, c'est long... et dur à vivre. Mais les cheminotEs comptent tenir encore, tant qu'il le faudra. Pourront-ils tenir davantage ? Leur seul espoir après la période des fêtes de fin d'année : que les autres secteurs professionnels, publics et privés, s'engagent également dans la grève reconductible. Si un maximum de secteurs entrent en grève, bloquent l'économie, le gouvernement sera contraint en quelques jours de remballer son projet de réforme.
L'opinion publique soutient encore ce mouvement de grève, malgré les tentatives du gouvernement d'inverser la tendance par une propagande médiatique acharnée. Stigmatisation des cheminotEs qui seraient des privilégiéEs défendant leur « régime spécial », alors que ce régime ultra minoritaire n'est qu'une maigre compensation conquise de haute lutte pour rétribuer des conditions de travail très particulières : ceux qui stigmatisent ne savent pas ce qu'est le travail de nuit, en horaires décalés, les jours fériés et les week-ends, dans le bruit, le froid ou la chaleur, à faire des gestes usant, sous la pression constante du danger de mort. Culpabilisation des cheminotEs qui seraient des « monstres égoïstes » en refusant de se soumettre à l'injonction d'une « trêve » et en maintenant les perturbations de circulation pendant les fêtes de fin d'année : pour tous ces gens qui n'ont que faire des conditions de travail dégradées – quand ce sont les autres qui bossent – et qui promeuvent le travail le dimanche et jours fériés, subitement Noël est devenu sacré ! Qu'on se le dise, quand on est en grève depuis 20 ou 25 jours, pour tenter de sauver une retraite à peu près digne pour touTEs, Noël ou Nouvel an ne représentent rien de spécial. Arrêter la grève, c'est mettre fin au mouvement de résistance et donc perdre la bataille.
Des secteurs ont dores et déjà abandonné le combat, parce que le gouvernement a cédé – signe d'ailleurs que la mobilisation ne sert pas à rien. C'est le cas par exemple des policiers et militaires, des routiers, ou du transport aérien. De fait, en cédant pour certains secteurs, même s'il ne l'avoue pas, le gouvernement ne cherche plus à imposer un régime « universel », puisque dores et déjà tout le monde ne sera pas logé à la même enseigne. Ces légers reculs du gouvernement force l'interrogation : si le régime « universel » de retraites par points qu'il veut imposer est si bénéfique, pourquoi le gouvernement ne l'a-t-il pas imposé aux policiers et militaires, aux routiers et au transport aérien ? C'est qu'il s'agit en fait d'une réforme néfaste pour tout le monde, et le gouvernement choisit les secteurs stratégiques qu'il ne veut pas froisser. Face aux autres secteurs, dont les cheminotEs, il a choisi la stratégie de la confrontation et du pourrissement.
D'aucuns pose la question récurrente : « Quand les cheminotEs vont-ils arrêter la grève qui paralyse le pays ? » La bonne question est pourtant la suivante : quand le gouvernement va-t-il retirer son projet de réforme qui paralyse le pays ? Les cheminotEs ont raison de se battre. Ils et elles le font pour l'ensemble des salariéEs, employéEs, fonctionnaires, chômeuses et chômeurs, étudiantEs, et pour les générations futures. Ils et elles défendent un projet de société plus juste et plus égalitaire. Nous leur devons bien plus que de la solidarité.
VFLI EN SOMMEIL
Ce projet de système « universel » de retraites par points touche tout le monde, y compris le secteur privé. Nous avons ici exposé notre analyse de cette réforme. Les salariéEs de VFLI n'y échappent pas : si cette réforme entre en vigueur, chacunE d'entre nous perdra jusqu'à 300 ou 400 euros par mois durant toutes nos années de retraite, par rapport à nos droits tels que définis dans le système actuel.
Alors dans ce mouvement de grève interprofessionnel, qu'en est-il des salariéEs de VFLI ? Depuis le 5 décembre, la grève des aiguilleurs de la SNCF impacte les circulations ferroviaires : beaucoup de trains sont supprimés. VFLI étant dépendante de SNCF Réseau, l'entreprise est dans l'incapacité d'assurer tous ses trafics. L'encadrement de VFLI tente de trouver toutes les opportunités de satisfaire un tant soit peu ses clients en assurant le plus de trains possible. Mais les conducteurs ont beaucoup moins de trains à faire, les opérateurs au sol beaucoup moins de trains à préparer. Globalement, les salariéEs sont en activité réduite : au jour le jour, on découvre si on va travailler ou si l'on est au « chômage technique ». Les pertes salariales sont conséquentes, puisque la quasi totalité des primes sautent : ne restent que les traitements de salaires de base.
Mais les salariéEs de VFLI ne sont pas en grève. Globalement, d'après les retours que nous avons, l'écrasante majorité des salariéEs se réjouit d'avoir des trains supprimés. Cela dit, on peut distinguer entre une majorité de salariéEs qui sont indifférentEs à la réforme, une très faible minorité qui y est favorable, et une très grande partie qui y est réfractaire et soutient le mouvement de grève. Parmi celles et ceux qui ont conscience des enjeux de la réforme et soutiennent le mouvement, on distingue entre celles et ceux qui ne sont pas prêtEs à faire grève eux-mêmes par peur de perdre davantage en salaire, et celles et ceux (une infime minorité) qui voudraient s'inscrire dans une grève reconductible mais n'y voient pas l'intérêt si une partie significative des salariéEs ne s'y engage pas.
La quasi totalité des salariéEs profite des jours « chômés » pour se reposer et profiter de leurs proches. A notre connaissance, aucune assemblée générale ne s'est réunie sur un site VFLI pour discuter du projet de réforme et décider d'éventuelles actions. SeulEs quelques salariéEs isoléEs prennent part aux journées nationales de manifestations, à diverses actions ponctuelles aux côtés des cheminotEs ou à leurs assemblées générales.
Pourtant, les raisons de se mobiliser ne manquent pas [1]. Et le calcul est simple : on perd beaucoup plus à toucher des salaires maintenant en continuant le travail et en laissant passer la réforme, qu'en faisant grève jusqu'au retrait du projet pour conserver des retraites décentes. La différence se chiffre en dizaines de milliers d'euros ! Et à nos enfants, qui pâtiront le plus de cette réforme si elle entre en vigueur, puisqu'ils passeront toute leur vie sous un régime par points avec des retraites de misère à la clé, qu'allons-nous leur répondre lorsqu'une fois atteint l'âge de saisir les enjeux de leurs salaires, ils demanderont : « Maman / Papa, tu as fait quoi, toi, pour empêcher la mise en place de ce système de retraites injuste ? » Nous avons aujourd'hui la possibilité de répondre autre chose que : « rien »...
L'UNION FAIT LA FORCE
Au-delà de l'enjeu du retrait du projet de réforme, auquel les salariéEs de VFLI gagneraient à prendre part avec détermination en tant que cibles au même titre que l'ensemble du monde du travail, il y a l'enjeu de l'union des travailleuses et travailleurs du rail, pour l'avenir du ferroviaire. Depuis des années, l’État et la direction de la SNCF organisent la casse du transport ferroviaire en France. Avec la mise en concurrence d'entreprises ferroviaires, la qualité des infrastructures, du matériel, de la gestion des circulations, des conditions de travail, des salaires, se dégrade considérablement. Cette concurrence s'effectue notamment au sein même de la SNCF, entre par exemple Fret SNCF et VFLI, appartenant toutes deux à la SNCF. Ces salariéEs, qui font les mêmes métiers, qui obéissent aux mêmes patrons, qui sont tenus par les mêmes actionnaires, qui subissent le même système d'exploitation, et qui ont donc les mêmes intérêts à défendre, sont volontairement diviséEs et opposéEs les unEs aux autres, pour tirer l'ensemble vers le bas, au profit des actionnaires.
La lutte actuelle et historique pour la défense du système de retraites et de la sécurité sociale est une nouvelle occasion de concrétiser l'union et la solidarité des travailleuses et travailleurs du rail, de créer des liens entre nous, de partager des moments riches d'organisation, de débats, de prise de décisions, de démocratie, de manifestations, de partager une lutte commune dans la perspective de vivre ensemble une victoire commune. L'enjeu est décisif pour l'avenir du ferroviaire ; car, à n'en pas douter, les luttes pour un transport ferroviaire développé, de qualité, sécurisé, juste, ne manqueront pas de s'imposer dans les années à venir. Les récentes nominations faites par Farandou, nouveau Président de la SNCF, de Christophe Fanichet, un financier, à la tête de SNCF Voyageurs, et de Marlène Dolveck, une banquière, à la tête de SNCF Gares & Connexions, annoncent clairement la couleur.
Tant que les travailleuses et travailleurs du rail ne seront pas organiséEs dans la solidarité et l'unité, nous continuerons de nous faire inexorablement écraser, au détriment non seulement des salariéEs eux-mêmes exposéEs à des conditions dégradées, mais aussi de la population, bénéficiaire d'un transport ferroviaire en délabrement, et de la planète, victime du réchauffement climatique anthropique, faute notamment d'une politique globale de développement du chemin de fer. Pour l'avenir du ferroviaire, nous avons touTEs besoin de l'union des salariéEs du rail : entre celles et ceux des entreprises privées d'une part, mais aussi entre ces salariéEs du privé et les cheminotEs de la SNCF. La construction effective de cette union peut commencer dès maintenant, en inscrivant dans la lutte du moment les habitudes de solidarité qui nous serviront demain.
Dans la lutte actuelle pour la sauvegarde du système des retraites, le meilleur moyen de concrétiser cette union serait évidemment que les salariéEs de VFLI s'engagent dans une grève reconductible au retour des fêtes de fin d'année, et organisent leurs propres assemblées générales. Cet objectif reste encore à construire. Parallèlement, sur leurs jours « chômés », les salariéEs peuvent participer aux assemblées générales quotidiennes des cheminotEs grévistes sur tous les sites de France (même sans droit de vote), participer aux manifestations et actions diverses aux côtés des cheminotEs. Il existe enfin un moyen décisif qui constitue « le nerf de la guerre » : alimenter les caisses de grève, outil indispensable pour permettre aux cheminotEs de tenir.