Le mot « collaborateur » n'existe pas dans le code du travail
21 novembre 2020

Depuis quelques années, le mot « col­la­bo­ra­teur » enva­hit le monde du tra­vail : les tri­bunes, les articles de presse spé­cia­li­sée, les bro­chures de recru­te­ment, les docu­ments internes aux entre­prises, les réunions d'instance, etc., font appa­raître par­tout ce terme pour dési­gner en réa­li­té ce qui n'est autre que les « salariéEs », les « employés » ou les « tra­vailleurs », d'une entre­prise ou d'une administration.

Pourtant, en ce sens le mot « col­la­bo­ra­teur » n'existe pas dans le code du tra­vail. Pas une seule fois. Or c'est le code du tra­vail qui régit stric­te­ment les rap­ports de pro­duc­tion dans notre société.

Pour être plus pré­cis, les seules occur­rences du terme « col­la­bo­ra­teur » dans le code du tra­vail dési­gnent l'associé d'un pro­jet entre­pre­neu­rial, c'est-à-dire les cadres diri­geants d'une entre­prise, ou leurs éven­tuels par­te­naires exté­rieurs : « tra­vailleurs indé­pen­dants », « conjoints » du « chef d’entreprise » ou du « tra­vailleur indé­pen­dant » ou de l’« entre­pre­neur indi­vi­duel ». Il s'agit d'un terme pré­cis qui ne désigne qu'une asso­cia­tion de patrons.

Alors pour­quoi une telle volon­té du patro­nat et du mana­ge­ment de l'appliquer aux salariéEs de leur propre entreprise ?

Les termes « sala­rié », « employé » ou « tra­vailleur » sont eux aus­si très pré­cis : ils recouvrent avant tout le concept de subor­di­na­tion, que la Cour de Cassation a défi­ni depuis 1996 comme « l'exécution d'un tra­vail sous l'autorité d'un employeur qui a le pou­voir de don­ner des ordres et des direc­tives, d'en contrô­ler l'exécution et de sanc­tion­ner les man­que­ments de son subor­don­né ». Ce lien de subor­di­na­tion du sala­rié à son employeur est par ailleurs ins­crit dans le contrat de tra­vail. En droit, ce qui carac­té­rise un contrat de tra­vail est le « lien de subor­di­na­tion juri­dique per­ma­nente ». ToutE salariéE est « subordonnéE ». On ne peut à la fois être « col­la­bo­ra­teur » et « subordonné ».

Oui mais voi­là : dans le mana­ge­ment moderne, cette rela­tion de subor­di­na­tion fait tache. Elle révèle la réa­li­té illé­gi­time des rap­ports de pro­duc­tion capi­ta­liste qui est que les patrons et les salariéEs ne sont pas sur un pied d'égalité : les pre­miers dominent les seconds.

Motivé par un com­plexe de supé­rio­ri­té, le mana­ge­ment reprend donc un terme dont étaient tra­di­tion­nel­le­ment affu­blés les cadres (que la direc­tion consi­dé­rait comme des inter­lo­cu­teurs aptes à « col­la­bo­rer » avec elle) pour l’appliquer au reste des salariéEs de l’entreprise. Il donne ain­si l'illusion que tout le monde existe sur le même plan que l’encadrement, que touTEs les salariéEs de l’entreprise vivent les condi­tions d’une égalité.

Il s’agit donc, dans ce détour­ne­ment séman­tique, d'une offen­sive idéo­lo­gique du patro­nat. L'objectif est de faire sau­ter l’idée même de subor­di­na­tion, au pro­fit de la col­la­bo­ra­tion qui est cen­sée se faire de plein gré. En pra­tique, c’est un concept que l’on retrouve notam­ment dans la rhé­to­rique de « l’entreprise libé­rée » où l’on consi­dère chacunE comme son propre manager.

Ce lien de subor­di­na­tion est pour­tant ce qui jus­ti­fie la tota­li­té de l'arsenal des droits et pro­tec­tions sala­riales défi­nies dans le code du tra­vail. Par consé­quent, en droit, annu­ler le sta­tut de sala­rié, c'est sup­pri­mer l'ensemble des droits et pro­tec­tions qui y sont atta­chés. Le code du tra­vail est la contre­par­tie à la subor­di­na­tion. Supprimer la notion de subor­di­na­tion enlève la contrepartie.

Masquer le lien de subor­di­na­tion par ce détour­ne­ment séman­tique répond donc aus­si à un inté­rêt stra­té­gique : cela per­met de mas­quer cette réa­li­té que les patrons d'un côté, et les salariéEs de l'autre, n’ont pas les mêmes inté­rêts : ces der­niers cherchent à vendre leur force de tra­vail le plus cher pos­sible quand les pre­miers veulent la leur payer le moins cher pos­sible. En effa­çant l'antagonisme des inté­rêts, le patro­nat est plus à même de nier les rap­ports de force et d'orienter les aspi­ra­tions des salariéEs vers ses propres inté­rêts patronaux.

A prendre les patrons au mot, si nous étions véri­ta­ble­ment des « col­la­bo­ra­teurs », alors touTEs les salariéEs des entre­prises devraient dès lors béné­fi­cier des mêmes pré­ro­ga­tives que les patrons : le même pou­voir de déci­der de tout dans l'entreprise, et les mêmes salaires...

Pas sûr qu'ils acceptent de « collaborer »...

 

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